1. S’il demeure, depuis le début de la crise malgache en 2009, une interrogation c’est bien celle-ci : quels sont les enjeux de la France pour qu’elle se soit impliquée avec autant d’acharnement et de constance dans cette crise. La question de Juan de Nova, cet îlot ide 5 km² au milieu de l’Océan Indien offre une réponse possible à cette question.
2. Les Îles Éparses, dont Juan de Nova, ont fait très tôt l’objet d’une volonté d’appropriation par la France. Ce chapelet d’îles ancrées à l’intérieur du Canal de Mozambique, sur « l’autoroute du pétrole », à mi-chemin entre l’Afrique et Madagascar présente un intérêt géostratégique certain. L’instauration en 1982 par la convention de Montego Bay du principe de Zone Économique Exclusive (ZEE) qui étendait à 200 milles de ses côtes la compétence d’un pays a en outre développé des enjeux économiques cruciaux.
3. Ces territoires, dépendances administratives de la Grande Ile rattachées en 1896 à la France qui déclarait colonie française « Madagascar et les îles qui en dépendent »,. auraient dû être restituées à Madagascar à la proclamation de son indépendance le 26 juin 1960. Bien au contraire, le décret du 1er Avril 1960, promulgué in extremis par l’État français détachait les éparses du territoire de la « République autonome de Madagascar » pour les placer sous l’autorité du ministre de la France d’outre-mer.
4. Cette annexion n’a été tardivement remise en cause par Madagascar qu’en 1973, date où Ratsiraka évoquera pour la première fois le problème de la souveraineté malgache sur les Éparses.
5. En 1979, des résolutions adoptées respectivement par l’OUA et le groupe des non-alignés, puis par l’organe plénier de l’ONU demandaient sous forme de recommandations à la France, mise là à l’index par la Communauté Internationale, de restituer à Madagascar ces îles séparées arbitrairement, ou tout au moins d’engager des négociations en vue de leur réintégration.
6. On ne reparlera de cette question de l’avenir des Îles éparses qu’en 1999 lors du sommet de la Commission de l’Océan indien qui décidait d’envisager la cogestion des îles de Tromelin et des Éparses par la France, Madagascar et Maurice. Cette proposition se conclut par un premier accord entre Maurice et la France en 2010.
7. L’intérêt des opérateurs pétroliers pour l’exploration et les ressources offshore de la zone s’éveille suite à la publication en 2003 d’un rapport de Rusk Bertagne Associates & TGS-nopec « Petroleum Geology and Geophysics of the Mozambique Channel », rapport qui s’appuie par ailleurs sur l’exploitation exclusive de données sismiques produites par des organismes de recherche français jusque là ignorées par les pétroliers. Cet intérêt s’éveille d’autant plus que les techniques de prospection et exploitation offshore en eaux profondes et très profondes sont désormais maîtrisées.
8. Juan de Nova s’avère se situer très exactement au milieu de cette zone du canal du Mozambique, qui intéresse tous les riverains parce qu’elle est envisagée comme une nouvelle « Mer du Nord ». Ses potentialités en termes de ressources pétrolières et gazières en eaux profondes seraient prouvées à l’Est par les champs de Bemolanga/Tsimiroro et Manambolo, à l’Ouest par la présence de champs de gaz naturels géants récemment découverts au large du Mozambique et de la Tanzanie et au Sud Ouest par les champs de gaz en exploitation de Pande & Temane au Mozambique.
9. Juan de Nova, une des Îles Éparses, possession française contestée par Madagascar, a fait l’objet en décembre 2008 de l’octroi par le gouvernement français de permis exclusifs d’exploration OffShore et de production sur deux blocs dénommés respectivement « Juan de Nova EST – JDNE » et « Juan de Nova Maritime Profond - JDNMP ».
10. Un permis d’exploration sur un bloc « Belo Profond » qui jouxte très exactement le bloc JDNMP est accordé par l’OMNIS et le gouvernement malgache aux opérateurs pétroliers de JDNMP.
11. Une idée était communément admise : les programmes d’exploration de Juan de Nova étayaient l’hypothèse d’un intérêt majeur de la France pour les champs de pétrole de Bemolanga. Mais si Total, au bout de trois 3 ans d’exploration, décide d’abandonner aussi « facilement » le projet Bemolanga, l’enjeu de la France n’est-il pas plutôt Juan de Nova, territoire affirmé français, dont les potentialités en énergies fossiles peuvent faire de la France un futur membre de l’OPEP ?
12. Le Décret N° 78-146 du 3 février 1978 portant création d’une zone économique au large des côtes des îles Tromelin, Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India énonçait : « la zone économique […] s’étend, au large des côtes des îles Tromelin, Glorieuses, Juan de Nova, Europa et Bassas da India depuis la limite des eaux territoriales jusqu’à 188 miles marins au-delà de cette limite, sous réserve d’accords de délimitation avec les États voisins. »
13. Madagascar créera sa propre ZEE de 200 miles en 1985. Le code pétrolier malgache de 1996 y fait ainsi référence : « Art.6- Au sens du présent Code, on entend par […] : « territoire de la République de Madagascar », le territoire terrestre, le plateau continental, la zone économique exclusive, les mers territoriales, tels qu’ils sont définis par la loi et les conventions internationales expressément ratifiées ».
14. À 150 kms des côtes malgaches, Juan de Nova devrait être naturellement intégré dans la ZEE des 200 miles de Madagascar. Les ZEE françaises et malgaches sont ainsi, dans le principe, en SUPERPOSITION TOTALE. Cette question de la délimitation des zones françaises et malgache est donc essentielle.
15. Si en 2005 un accord a été établi entre la France et Madagascar à propos de la Réunion et de la délimitation des ZEE respectives malgache et française, rien n’a été fait quant aux Îles Éparses. Faute de négociation et de délimitation des limites des ZEE respectives, ou à la rigueur en l’absence d’un accord de cogestion, personne n’est propriétaire de rien.
16. Faute de détermination des limites de compétences territoriales de la France et de Madagascar sur cette zone, on peut dès lors s’interroger sur la légalité et la légitimité des concessions et permis accordés aux opérateurs pétroliers opérant sur cette zone de litige.
17. Sans un accord et une négociation, entre les États français et malgache en particulier, ces énormes ressources en énergies fossiles, si elles existent, ne sont pas exploitables.
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