Au cas où un observateur intermittent de la crise politique malgache avait ignoré le fait qu’une importante réunion sur Madagascar été prévue pour cette semaine, l’agitation générale de la semaine dernière aurait dû lui mettre la puce à l’oreille
Début de normalisation
Car le branle bas médiatique dans une belle brochette des lieux de réunion que peut compter la capitale (Centre de conférences d’Ivato pour l’Espace de concertation, Astauria d’Antanimena pour la CNOSC et les raiamandreny mijoro, Espace Dera pour les femmes légalistes, Carlton d’Anosy pour les trois mouvances, Bon accueil d’Ambatonakanga pour les représentants des exilés politiques, Hôtel Grégoire pour les soutiens de Raymond Ranjeva) avait bien sûr pour catalyseur la proximité de la réunion de la SADC qui se tient en ce debut de semaine pour examiner entre autres le « cas Madagascar ».
Branle bas, a-t-on écrit plus haut. Mais plus branle bas de combat. Contrairement aux mois et semaines précédentes, on relèvera qu’aucune arrestation n’a eu lieu [1] et personne n’a promis ou appelé à des manifestations de masse ou de rue. Tout ceci tend à laisser penser que le creux de la fameuse courbe en J (ou en U ou en V, voire en W selon les théories) a été nettement franchi pour ce qui est de cette crise. L’heure est plutôt aux conférences et aux comités, alors que le mot « crise » évoque un phénomène aigu ; s’il n’est peut-être pas encore temps d’abandonner l’usage de ce mot, une nouvelle étape a clairement été franchie
Coalescence
La convergence progressive des termes utilisés est un autre signe révélateur. Si on compare les accords de Maputo et l’accord politique signé à Ivato, on relèvera un certain nombre de principes communs et de solutions semblables, et les différences sont peu susceptibles de passionner le simple citoyen qui souhaite uniquement que « les gens d’en haut » s’entendent enfin.
Verre à moitié vide ou verre à moitié plein ? Plutôt que de se focaliser sur des dates mises en avant de manière un peu fracassante, l’on peut préférer retenir que des entités qui passaient naguère pour faire partie des durs de la HAT acceptent désormais l’idée d’un gouvernement élargi à toutes les sensibilités et la remise en place d’organes législatifs plus représentatifs que la seule HAT.
Et si les trois mouvances mettent toujours en avant les accords de Maputo et d’Addis Abeba et la médiation de Joachim CHissano, on notera avec beaucoup plus d’intérêt qu’elles reconnaissent désormais à la CNOSC un rôle de médiateur crédible.
Un accord complet avant la réunion de la SADC aurait été miraculeux. Par contre, on peut constater un véritable phénomène de coalescence, au sens physique du terme. Il faut entendre par là le phénomène par lequel deux substances identiques, mais dispersées, ont tendance à se réunir. C’est le cas dans une mousse liquide, lorsqu’un film de savon se rompt et que les deux bulles adjacentes se rejoignent pour n’en former plus qu’une seule. La coalescence de paires de bulles est l’un des mécanismes qui donnent lieu à ce que l’on appelle un mûrissement : la taille moyenne des bulles ou des gouttelettes augmente progressivement à chaque rapprochement.
Certains demanderont : pourquoi être optimiste maintenant après des mois de hauts et surtout de bas peu convaincants ? Au delà de l’apaisement du ton, on aura examiné tout au long de cette crise différentes restructurations des opinions : on a vu une opinion se positionnant d’abord sur des axes pro-TGV et pro-Ra8, puis s’articulant entre anti-Tikoland et anti-putsch, et enfin se divisant entre partisans du partage de pouvoir et tenants d’élections rapides. Des sujets comme le bois de rose auront aussi permis de rappeler que certains problèmes ne pouvaient être uniquement résumés à des questions de personnes et avaient aussi un caractère systémique. Ces évolutions successives des débats ont permis de les dépersonnaliser un tout petit peu, et surtout de constater que selon les questions posées, certains se sentaient tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, parfois des deux côtés à la fois, ou ni dans un camp ni dans l’autre... Elles auront amené un Raharinaivo Andrianatoandra et un Henri Lecacheur à se repositionner dans un « centre » qui n’aurait eu aucun sens lorsque la confrontation était uniquement entre personnes
Le risque de l’huile sur le feu
Dépersonnalisation des débats donc. Mais gare au retour des questions liées aux individus, par exemple en entendant un Hassane Diop affirmer dans un journal parlé de RFI qu’un accord aurait été conclu entre les personnes en réunion à Ivato pour que ni Andry Rajoelina, ni aucun des trois anciens présidents ne se présenterait aux prochaines élections présidentielles. Rien de tel pourtant ne figure par écrit dans l’accord politique. Et même si, entre les déclarations d’Andry Rajoelina et les trois mouvances qui se tiennent un peu à l’écart, l’on risque d’aboutir à une telle configuration, elle ne ferait que renforcer ladite crise si elle n’était que le fruit des circonstances et non du libre consentement des concernés.
Rien de définitif n’est vraiment acquis. Mais rien non plus n’est perdu. Le titre de cet éditorial est une reprise d’un autre écrit par Ndimby au lendemain de Maputo, il y a un an jour pour jour. Que d’un côté, on arrête donc de pousser des cris d’orfraies parce qu’on a vu quelque part une oreille d’un originaire d’un pays de la SADC. Que de l’autre, l’on cesse de crier que tout texte signé par « le putschiste » n’a aucune valeur.
Malgré les tendances à vouloir tout faire mousser, le scénario le plus probable semble être celui de voir les bulles continuer à s’aggréger dans les prochains jours.