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samedi 3 juillet 2010

Gouvernance environnementale à Madagascar : Quel bilan et quelles perspectives?



Vahinala RAHARINIRINA

Le cinquantenaire de l’Indépendance de notre Pays est à l’honneur en cette année 2010 et il est plus que normal de dresser aussi le Bilan de ces cinq décennies pour la gouvernance environnementale à Madagascar. La question environnementale[2], souvent reléguée au second plan par plusieurs acteurs notamment les partis politiques, est pourtant fondamentale à la fois en termes d’enjeux, mais aussi parce qu’elle est en quelque sorte garante de la stabilité politique du Pays.



Je tenais à souligner que les éléments que je vais énoncer ici n’engagent pas mon laboratoire de recherche et reste une analyse très personnelle. C’est le résumé de mon intervention à Fresnes le 12 juin dernier lors d’une conférence-débat organisée par Guy Vincère Rabesaotra dans le cadre du cinquantenaire de l’Indépendance. Mon analyse a d’ailleurs été principalement focalisée sur la place des populations locales dans cette gouvernance des ressources naturelles à Madagascar.




Commençons d’abord par l‘historique de cette gouvernance environnementale. Elle a été particulièrement exclusive et répressive du temps de l’administration coloniale. La période postcoloniale a été relativement identique, c’est-à-dire avec une approche basée sur l’exclusion et la centralisation de la gestion des ressources par l’Etat. Il a fallu attendre le début des années 90 pour voir l’Etat malgache décentraliser enfin la gestion des ressources naturelles et promettre une approche « bottom-up » qui intègre les populations locales et leur confère le pouvoir de gérer les ressources naturelles longtemps accaparées par l’administration. On assiste alors à la mise en place d’une politique environnementale totalement novatrice et à l’élaboration de nouveaux programmes de gouvernance locale tels que les GELOSE – GCF… Mais très vite, l’Etat sous pression des acteurs de la conservation et des bailleurs de la politique environnementale est contraint d’avouer, à tort ou à raison, l’échec de cette décentralisation des ressources, en évoquant surtout l’incapacité des communautés à mener une gouvernance efficace. Fin des années 90, on assiste alors à l’avènement de ce que j’appelle la gouvernance environnementale « néolibérale ».


Si on devait schématiser cette nouvelle forme de gouvernance, elle serait basée sur quatre piliers, à savoir une économie fondée sur l’extraction et la valorisation marchande des ressources naturelles en parallèle avec la conservation de la biodiversité (Vision Durban) - le retour d’une approche « Top Down », avec un Etat contraint à la fois par les feuilles de routes internationales et par les intérêts des grandes puissances – le développement d’une nouvelle génération de projets (contrats de bioprospection, vente/location de terres agricoles, grands projets miniers, projets REDD+, etc.) – un discours basé sur la compétitivité, la rentabilité, la rationalité et l’efficacité. Cette gouvernance néolibérale est caractérisée par la présence accrue des BINGOs[3] et des firmes étrangères (multinationales ou autres) sur le territoire malgache.




On s’aperçoit que la notion de dépendance des communautés locales aux ressources naturelles a complètement disparu des discours et des débats (si toutefois il en existe). Ce qui provoque une certaine forme de dualité permanente entre usages traditionnels des ressources et grands projets. On constate même qu’une incompréhension mutuelle, voire une divergence totale de point de vue, s’est petit à petit installée entre l’Etat et les populations locales. Les conséquences sont connues de tous et s’avèrent relativement dramatiques. D’abord, la perte de biodiversité sur l’Île continue à une vitesse inquiétante, provoquant différents dégâts pour les écosystèmes, mais aussi pour les communautés à proximité. Cette nouvelle génération de projets n’a pas permis de contenir l’érosion de la biodiversité. Ensuite, on observe une paupérisation et une grande vulnérabilité de certaines communautés rurales. La politique environnementale malgache est très fortement critiquée[4]. Il n’y a plus de confiance des populations envers l’Etat. Cela va d’ailleurs se matérialiser par des mouvements de contestation des paysans, chose rarement observée à Madagascar. Enfin, face à un Etat qui devient de plus en plus unilatéral[5] en matière de prise de décision, il y a une vraie demande sociale[6] pour un processus plus inclusif et participatif.



Ce que j’appelle « gouvernance environnementale néolibérale » de cette dernière décennie n’est cependant pas que négative, du moins pour certains acteurs de la société malgache. Pour l’Etat malgache, plongé dans un contexte de faillite publique quasi-permanente, tout projet qui est censé avoir un impact positif sur le développement économique et territorial de l’Île est pertinent. D’autant plus que l’Etat malgache se défend d’avoir toujours recouru à des études d’impacts environnementaux (EIE) et à l’avis d’experts confirmés. Par ailleurs, les protagonistes de cette « nouvelle génération » de projets et de mécanismes avancent des justifications libérales prônant la nécessité des investissements privés et engagent souvent des discours « culpabilisateurs » notamment par rapport à l’incapacité des anciens modes de gouvernance à contenir la perte de biodiversité et à sortir les populations surtout rurales de cette situation de grande vulnérabilité.



Face à ce dilemme, la question qui est souvent posée par les uns et les autres est la suivante : « Faut-il privilégier cette gouvernance néolibérale en sachant qu’elle est finalement très controversée et manque crucialement de légitimité sociale » ? Je pense que la question est un peu mal posée, même si effectivement une réflexion sociale sur la pertinence de cette gouvernance néolibérale est à faire et dans les plus brefs délais. Je me pencherai plutôt sur les enjeux de redistribution des coûts et des bénéfices, économiques et écologiques, de ces différents mécanismes et projets « new generation ». Nous sommes de toute évidence soumis par ces feuilles de route internationales et le contexte de globalisation nous oblige à nous ouvrir davantage à d’autres partenariats. Nul ne peut vivre en autarcie à l’heure actuelle !




Le principal défi pour les années à venir, puisqu’il faut bien parler de perspectives, est donc de privilégier des partenariats de type « win-win », de prendre en compte les intérêts de tous les acteurs y compris les plus faibles notamment les 70% de populations rurales, et de faire en sorte que ces projets soient économiquement – socialement et écologiquement viables. Pour que ce défi soit possible, un vrai retour aux valeurs malgaches est fondamental. Je pense notamment aux 4 notions « Mifampiera – Mifampitsinjo – Mifampifehy – Mifampizara ».



[1]Docteur en Economie de l’environnement et des ressources naturelles. Chercheur au centre de recherche REEDS, Université de Versailles Saint Quentin-en-Yvelines. Contact : Vahinala.Raharinirina@reeds.uvsq.fr Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

[2] La question environnementale ne doit pas être réduite à celle des écosystèmes. La gouvernance environnementale inclut à la fois la gestion des ressources naturelles, la redistribution des bénéfices et des coûts économique et écologique impactés par leur exploitation, ainsi que la place de l’Homme et donc par extension des communautés locales, dans les politiques de conservation de la biodiversité.

[3] BINGOs [Big Non Gouvernemental Organizations] = Grandes organisations non gouvernementales.

[4] Les critiques n’émanent pas seulement de la communauté scientifique, mais aussi de la société civile et des communautés locales.

[5] Il arrive néanmoins que l’Etat prenne des décisions de manière bilatérale avec les BINGOs ou avec les principaux bailleurs de fonds de la politique environnementale.

[6] Le besoin de participer, de s’exprimer et d’être impliqué dans les différentes phases de consultation préalables aux projets n’est en aucun cas un « dogme » qui émane des chercheurs en sciences sociales, comme il est souvent dit à Madagascar. C’est une revendication et une exigence qu’il va falloir prendre en compte et systématiser pour les années à venir.