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mardi 12 juillet 2011

Esclavage à Madagascar

De nouvelles découvertes

L'île de Tromelin fut la planche de salut d'esclaves malgaches naufragés et abandonnés. Des fouilles archéologiques exhument leur
histoire singulière et taboue à Madagascar.

Jamais à Madagascar, Bako Rasoarifetra n’en avait entendu parler. Jamais, cette archéologue et muséologue de renom à Antananarivo, la
 capitale malgache, n’avait eu vent de la tragique aventure des esclaves oubliés sur l’île de Tromelin. Mais en 2009, dès qu’elle
apprend qu’une équipe française a commencé des fouilles à Tromelin, située à 450 kilomètres à l'est de la Grande Ile, Bako Rasoarifetra veut être de la partie.
 Le 31 juillet 1761, l’Utile, navire négrier de la Compagnie des Indes, parti de Madagascar, fait naufrage sur les récifs coralliens d’un
minuscule îlot sablonneux, sans arbre ni végétation, perdu dans l’Océan Indien. Après être parvenus à construire une embarcation de
fortune avec les restes de l’épave, les cent-vingt-deux hommes d’équipage quittent l’île. Ils laissent derrière eux une soixantaine
d’esclaves avec la promesse qu’un bateau viendra bientôt les secourir. Promesse non tenue. Ce n’est que quinze ans plus tard, en 1776, qu’une corvette récupère les huit esclaves survivants : sept femmes et un
enfant de huit mois qui sera baptisé Moïse.
Libres et livrés à eux-mêmes
Pendant plus de deux siècles, les seuls vestiges à témoigner de cette présence humaine se résumeront à une ancre et trois canons. Passionné par l’histoire de l’esclavage, un ancien officier de Marine, Max Guérout, âgé de 73 ans, est alerté par un météorologue travaillant sur l’île de Tromelin qui le convainc qu’il y a là un terrain scientifique
exceptionnel. Débute une longue bataille pour réunir des fonds, des soutiens et des hommes et lancer une première campagne de fouilles. Ce sera en 2006, avec l’archéologue Thomas Romon, mis à disposition par
l'Institut national de Recherches archéologiques préventives (INRAP).
Objectif : comprendre comment ces esclaves malgaches ont pu survivre sur cette bande de terre d’un kilomètre carré exposée aux intempéries, aux remous et aux cyclones. L’Université d’Antananarivo, par son
Institut de Civilisations-Musée d’Art et d’Archéologie, donne feu vert pour que Bako Rasoarifetra puisse se joindre à la troisième et
dernière campagne de fouilles qui a eu lieu en novembre dernier. « Imaginez-vous ces esclaves », raconte l’archéologue malgache, « ils sont sous le coup de quatre chocs psychologiques. Libres, ils avaient été
volés et réduits à l’esclavage ; puis ils ont échappé à la mort et à la noyade lors du naufrage ; ensuite, il leur a fallu survivre sur cette île déserte alors que probablement, certains d’entre eux n’avaient
jamais vécu près de la mer mais sur les Hautes-Terres centrales de
Madagascar ; et abandonnés, ils se retrouvaient comme emprisonnés au
milieu de l’océan, dans une attente interminable ».
Malgré les aléas climatiques - tous les objets collectés en témoignent -, ces hommes et ces femmes ont fait preuve d’une énergie et
créativité formidables. « Pour les Malgaches, ne plus avoir d’activité, ne plus travailler, c’est être mort. Et les fouilles ont prouvé que
ces anciens esclaves avaient mis toutes leurs forces pour combattre et
vivre à tout prix », analyse Bako Rasoarifetra.
Un symbole ultime de liberté
Exemple : la « pointe-démêloir » que l’équipe découvre dans les sables. Une grande émotion pour Bako Rasoarifetra, qui établit le lien entre
les gestes d’aujourd’hui et ceux d’hier :
« nous, les femmes malgaches, avons pour tradition de séparer nos cheveux avec cet outil que les hommes nous offrent. Or, les femmes
esclaves avaient la tête rasée ; rendues à la liberté, elles ont donc
laissé pousser leurs cheveux et les hommes leur ont confectionné cette
pointe-démêloir. C’est, à mes yeux, un symbole ultime de liberté sur
cette île loin de tout ! ».
La présence de l’archéologue malgache est précieuse pour l’équipe dirigée par Max Guérout : « nous avions besoin de ses connaissances, pour travailler sur l’habitat par exemple et surtout de sa
sensibilité de Malgache ». Et Bako Rasoarifetra d’ajouter en riant :
« parmi toute cette équipe d’hommes, costauds et grands, ma petite
taille me permettait de me glisser dans les cavités que l’on mettait à jour ! Et il est vrai que les objets découverts me « parlaient » sans
doute plus ; je sais la philosophie de la vie, le mode de pensée qu’ils pouvaient révéler ».
D’ailleurs, Bako Rasoarifetra a voulu tenir une petite cérémonie d’hommage aux morts, une femme et un homme, dont l’équipe a mis au
jour les squelettes. « Nous n’avons pas retrouvé les sépultures mais il est important de procéder aux deuxièmes funérailles, car on entretient ainsi le souvenir, on réveille la mémoire ; ceux qui meurent sont nos
ancêtres et continuent à nous protéger, nous devons les honorer », a-t-elle expliqué aux membres français de l’équipe qui l’ont assistée dans la cérémonie.
Le tabou de l'esclavage
Bako Rasoarifetra regrette que cette page d’histoire soit si peu connue dans son pays. « La restitution de la mémoire de l’esclavage
malgache, voilà ce qui m’intéresse », dit-elle. « Certes, nous avons déjà tenu deux colloques sur ce thème ; mais le sujet est encore tabou pour ceux qui descendent d’esclaves, ils éprouvent une forme de « complexe »
à reconnaître leurs ancêtres ». Ce tabou fait sans doute aussi écho aux
divisions sociales de la société malgache, avec tout en bas de la hiérarchie les « andevos » (descendants d’esclaves) dont le statut
contredit quelque peu le mythe du « fihavanana », un terme qui désigne la
solidarité et l'entraide en tant que valeurs fondamentales du lien
social entre les Malgaches.
« Il y a une réticence à parler de l’esclavage à Madagascar. Dans le cas des esclaves de Tromelin, c’est encore plus vrai car ce ne sont
pas des « andevos » qui ont été vendus mais des « Noirs java », descendants
malgaches d’Indonésiens provenant des Hauts-Plateaux. De plus, les organisateurs de ce trafic étaient eux-mêmes des habitants des Hautes-Terres, ce qui veut dire que l’esclavage était sans doute plus pratiqué et répandu qu’on ne le croit », explique Max Guérout, le chef
de mission. De retour à Antananarivo, Bako Rasoarifetra veut y raconter l’aventure
des esclaves oubliés. Elle espère aussi organiser un jour une exposition qui témoignerait de leur combativité. Un bel hommage, plus fort que les tabous peut-être ?

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