Au regard de l’histoire, un demi-siècle est une courte période. N’oublions pas que les cinquante dernières années prolongent une évolution dont les premiers indices humains remontent au Vème siècle de notre ère. Il y a près de deux siècles, la monarchie merina avait obtenu la reconnaissance internationale de Madagascar pendant plus de soixante quinze ans : le traité conclu avec l’Angleterre par Radama 1er le 23 octobre 1817 conférait à celui-ci le titre de « Roi de Madagascar », alors même que son pouvoir ne s’étendait que sur les deux tiers du territoire. La célébration du cinquantenaire de l’indépendance recouvrée en 1960 ne doit donc pas occulter le passé. Elle nous offre au contraire l’opportunité d’approfondir la connaissance de notre histoire commune, pour reconnaître et apaiser les conflits d’autrefois, et pour surmonter les injustices et les malentendus passés qui handicapent toujours notre présent.
Les cinquante ans écoulés nous laissent un goût amer, il faut le reconnaître. Nous sommes loin de l’euphorie et des espoirs qui avaient accompagné la proclamation de l’indépendance par Philibert Tsiranana, le 26 juin 1960. Depuis lors, l’euphorie s’est muée en tristesse et en nostalgie, et les espoirs en déception et en doute. Les Présidents successifs, Tsiranana, Ratsiraka, Zafy et Ravalomanana, ont tour à tour promis monts et merveilles, déchaînant l’enthousiasme des foules sur l’ensemble du pays. Aucun d’eux n’a tenu parole, chacun s’est vu congédié par des citoyens déçus et frustrés.
Plus inquiétante, l’aggravation de la pauvreté n’échappe à personne. Si la population a quadruplé depuis 1960, passant de 5.183.000 habitants à environ 20 millions en 2010, le PNB par tête a diminué de moitié. En 1960, le citoyen pouvait acheter un kilo de riz avec une heure de travail payée au salaire minimum ; aujourd’hui, il y faut trois heures de travail. L’échec est encore plus grand, si on compare Madagascar avec des pays qui jouissaient d’un niveau comparable au nôtre en 1960, tels que la Corée du Sud ou notre voisine Maurice.
Enfin, nul ne conteste la dégradation de la qualité du vivre-ensemble. Les valeurs constitutives de notre identité malgache sont assurément présentes dans les esprits comme dans les discours, mais elles semblent avoir perdu leur force opératoire. La tolérance et l’hospitalité, le respect des anciens et la non-violence, qui valaient à Madagascar l’estime des autres nations, ont largement disparu des pratiques sociales. Le fihavanana, qui pourtant symbolise la civilisation malgache, ne créé plus l’unanimité des cœurs et des pensées.
Loin de pousser au découragement ou au renoncement, ces échecs devraient au contraire nous interpeller, et nous mobiliser. Le fait d’avoir surmonté des crises majeures qui auraient pu rompre l’unité nationale témoigne de la volonté de poursuivre ensemble le difficile chemin qui mène à la démocratie et au développement. Le fait de lutter sans relâche contre la pauvreté ambiante prouve la capacité d’innovation d’une population qui s’adapte peu à peu à la science et à la technique, à l’urbanisation et à la mondialisation. Le fait de se référer aux valeurs traditionnelles, même si elles sont trop souvent bafouées dans les faits, démontre l’attachement de tous à la particularité de notre identité.
Mais nous le savons, la tâche sera rude et longue. Il est difficile pour une société comme la nôtre de passer rapidement et sans mal d’une civilisation traditionnelle orale, hiérarchisée et agraire, à une civilisation moderne qui ne peut que devenir urbaine, égalitaire et technicienne. Alors, faisons en sorte que ce passage soit le plus rapide et le moins douloureux : cet objectif constitue le principal défi des décennies à venir. Seules l’adhésion et la participation de tous, sans arrière-pensées, permettra de le réussir dans les meilleures conditions.
Pour que ce défi puisse être relevé dans les 50 prochaines années. Et pour que les enfants d’aujourd’hui puissent célébrer le centenaire de l’indépendance malgache dans la concorde et la prospérité, que chacun prenne dès à présent toutes ses responsabilités ! L’avenir ne se construit pas dans l’attente d’un homme providentiel qui n’existera jamais. Il se construit avec des citoyens honnêtes et compétents, et des responsables dévoués au bien commun, respectueux des droits de chacun et sachant écouter une société civile vigilante.
Depuis bientôt dix ans, le SeFaFi s’est efforcé de tenir ce rôle de vigilance. Un quotidien de la place, plutôt favorable à Marc Ravalomanana, a écrit récemment que si ce dernier avait tenu compte de ses mises en garde, il serait encore au pouvoir. Cet échec est autant celui de la société civile, qui n’a pas suffisamment joué son rôle, que celui de dirigeants prisonniers de leurs ambitions et de leurs certitudes.
Les responsabilités du passé sont celles de tous, les espérances de l’avenir sont à assumer par tous. Aussi faut-il nous interroger, en ce temps de célébration. Nous sentons-nous toujours partie prenante d’un destin commun ? Prendre en compte l’intérêt national n’est pas incompatible avec son intérêt personnel ; mais il faut que chacun respecte la loi, qui doit donner une chance égale à tous.
Enfin et surtout, sommes-nous conscients des structures d’inégalité et d’exclusion, dont la rigidité incite les uns à la révolte et les autres à la haine ? Au seuil du nouveau cinquantenaire qui s’ouvre à nous, le SeFaFi souhaite à Madagascar et à tous les Malgaches sans exception, de s’unir dans des responsabilités partagées, dans un travail discipliné et dans un vivre ensemble harmonieux.
Antananarivo, le 7 juin 2010
Sehatra Fanaraha-maso ny Fiainam-pirenena
SeFaFi
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