Les thèses et les foutaises
21 janvier 2010, par Ndimby A.
En zappant sur ma radio il y a quelques jours, je suis tombé sur une interview du général Ramakavelo, partisan de Andry Rajoelina, et qui s’offusquait des manifestations depuis quelques jours dans le quartier d’Anosy. Il les a qualifiées de provocations, car ce quartier était une « zone rouge » du fait de la présence du Palais du Sénat et des ministères.Cette thèse va trop vite en besogne. Les politiciens qui vitupèrent aujourd’hui contre les mouvements de rue organisés par l’opposition, sont les mêmes qui lançaient sans vergogne la foule à l’assaut des Ministères et des Palais d’Etat il y a un an. Le général cité ci-dessus s’est même livré à une petite démonstration oiseuse, pour tenter de dire qu’en cas de prise de responsabilités par les forces de l’ordre dans le futur, il ne faudra pas accuser celles-ci de répression. « Quand le mouton persiste à s’aventurer dans la rivière, il ne faut pas qu’il accuse le crocodile qui s’y trouve de méchanceté » a-t-il dit en substance, tout en appelant les forces de l’ordre à donner une suite à leurs avertissements.Tiens donc. N’est ce pas ce même général qui faisait le tour des médias après les événements du 7 février 2009, pour pérorer ses thèses sur l’action de la garde du Palais d’Ambohitsirohitra ; expliquer ses théories sur le maintien de l’ordre, le processus de sommation, et le scandale qu’était selon lui le fait d’avoir fait tirer sur une foule désarmée et « pacifique ». En d’autres termes, quand les forces de l’ordre agissent face à une foule conditionnée pour prendre d’assaut un palais d’Etat, pour lui c’était de la barbarie. Mais si les forces de l’ordre prennent action face à une foule réunie à Anosy, ce serait de la prise de responsabilité. Ce général ferait mieux d’abandonner la politique et ses thèses foireuses, et retourner à l’écriture de ses poèmes.C’est ce genre de pirouette qui discrédite la pratique de la politique et les politiciens à Madagascar. Comment peut-on oser affirmer avec autant d’aplomb que ce qui était noir hier, est aujourd’hui blanc ? Cette interview du général Ramakavelo fait exactement penser aux déclarations des responsables actuels de la Justice et de la sécurité publique. Ceux-ci ne se rendent pas compte qu’ils frisent le ridicule en agitant contre la mouvance Madagasikara les menaces de sanction pour trouble de l’ordre public, atteinte à la sûreté de l’Etat, association de malfaiteurs, outrage envers le chef de l’Etat, « complicité dans une tentative de mutinerie » (accusation des journalistes de Radio-Fahazavana dans l’affaire du RAS), et autres douceurs du Code Pénal. Car si on relisait les faits de Janvier à Mars 2009 à la lumière de ces qualificatifs, certains gagneraient des vacances de longue durée sur les plages de Nosy Lava [1]. Alors, certains (et surtout certaine) ministres devraient y réfléchir à deux fois avant de jouer les pères fouettards et la mère-la-vertu de la loi et du Droit.ll n’y a pas que les Visages Pâles dans les albums de Lucky Luke qui ont la langue fourchue. Et finalement, tous les louvoiements de parole pour justifier aujourd’hui ce qui était reproché à Ravalomanana il y a un an, cadrent parfaitement avec les promesses non tenues de la Haute autorité de transition (HAT). On pourrait en présenter ici une liste longue comme un jour sans pain. La Place de la Démocratie, à usage unique (comme les tampax), et réservée à Rajoelina et ses griots, en est la meilleure illustration. De tous les engagements pris pour une véritable démocratie, une bonne gouvernance réelle, la fin de la dictature et l’essor économique, force est de constater qu’aucun n’a été tenu par la HAT. Winston Churchill, à qui l’on demandait ce qui était selon lui la qualité d’un politicien, avait répondu ainsi : « c’est la capacité de prédire ce qui va arriver demain, le mois prochain, et l’année prochaine – et, après, d’expliquer pourquoi cela ne s’est pas passé ». De ce point de vue, Andry Rajoelina est donc un excellent politicien.Pour les hommes politiques malgaches, la démocratie est donc utilisée comme prétexte, la République comme spectacle d’illusion, la Constitution comme fable, et le peuple comme marchepied. Tels sont donc les concepts à géométrie variable que nos politiciens nous cuisinent, tout en les accommodant à leur sauce, qui souvent, se révèle indigeste. Dernier épisode du cirque : les forces pro-Rajoelina ont créé un nouveau rassemblement politique, l’Union des démocrates et des républicains (UDR). Voir tous ces auteurs invétérés de coup d’Etat s’auto-proclamer comme chantres de la démocratie et de l’esprit républicain, n’est qu’une cocasserie sans nom. À moins que ce ne soient les chancres mous dans le domaine.Car la démocratie ne se décrète pas par les mots, mais par les actes. La République démocratique de Ratsiraka, la République démocratique allemande de Erich Honecker ou la République populaire et démocratique de Kim Il Sung, n’ont de démocratiques que le nom. Etre démocrate c’est respecter la Constitution en vigueur ; accorder la liberté de parole et d’action à l’opposition ; ne pas museler la presse ; et faire en sorte que les élections soient fiables et crédibles, car équitables et transparentes. Quand on soutient et cautionne un putsch, on n’a pas l’outrecuidance de se qualifier de démocrate et de républicain. Point barre, comme dirait mon ami Basile Ramahefarisoa.Aussi, placer en Andry Rajoelina et en la clique qui l’entoure de quelconques espoirs de renouveau de la pratique démocratique, serait pire qu’un saut dans le vide. En un an, on a eu plus qu’il ne fallait l’occasion de voir ce qu’ils valaient dans le domaine. Actuellement, ils se gargarisent de redonner la voix au peuple à travers les élections législatives. Mais ils n’avaient qu’à ne pas la lui prendre, et avoir l’arrogance prétentieuse de parler en son nom sans mandat électoral. Car de toutes les thèses, la pire des foutaises est celle qui prétend que quelques milliers d’excités sur la Place du 13 mai représentent « la volonté du peuple malgache ». Cela est vrai pour 1991, 2002, 2009 et 20xx.Mais au classement des déclarations débiles (du latin debilus = faible), il y a deux autres thèses qui gagneraient un Oscar. Primo, celle qui affirme que dans la mesure où Marc Ravalomanana ne s’était pas illustré par ses qualités de démocrates, il n’y avait pas lieu de critiquer Andry Rajoelina et les membres de son pouvoir hâtif. Et secundo, en lien avec ce qui précède, celle qui affirme que ceux qui n’ont pas critiqué en son temps Marc Ravalomanana n’ont aucun droit de critiquer Andry Rajoelina. Diantre, il vaut mieux entendre cela que d’être sourd. Car cette révolution foireuse, dont on voit jour après jour les résultats calamiteux, a été faite en prenant comme prétexte ce qu’il fallait changer dans ce pays. Et au vu de tout ce qui non seulement n’a pas changé, mais de plus a empiré, on ne peut que se rendre à l’évidence : nous sommes en train de vivre la plus grande arnaque politique de tous les temps. En attendant que les législatives de Mars 2010 en rajoutent une couche.Et au milieu de ces thèses et foutaises, on se demande comment Jean Ping, qui arrive aujourd’hui, va arriver à faire la synthèse entre l’unilatéralisme des uns et la réticence des autres.
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